Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EMTIO VENDITIO

EMTIO VENDITIO

EMTIO VENDITIO. -Contrat de vente. C'est un contrat purement consensuel, par lequel une partie appelée vendeur (venditor) s'obligeait à procurer à l'autre nommée acheteur (emtor) la libre possession à titre de maître d'une chose (merx), moyennant un prix en argent (pretium) que celle-ci s'engageait à lui payer'. Il ne faut pas confondre ce contrat avec l'échange [PEBMUTATIO] dont la vente tire son origine, ni avec la MANCIPATIO3, mode d'aliénation fictive avec pesée du prix, per ces et libram, applicable seulement à une certaine classe de choses précieuses, savoir les res maneipi4. Cependant on tend à admettre aujourd'hui que la mancipatio fut à l'origine une vente réelle produisant l'action auctoritatis, et que le contrat de vente ne fut guère obligatoire consensu qu'au temps de Plaute, suivant Demelius et Bechmann, et même plus tard, selon Bekker. En règle générale, la vente était parfaite, dans le droit romain classique, c'est-à-dire obligatoire et pourvue d'actions [ACTIO], dès qu'il y avait eu consentement des parties sur la chose vendue (res vendita) et sur le prix'. Les arrhes [ARGUA] n'étaient qu'un signe ou un moyen de preuve de la formation du contrat. Justinien' a fait, en cette matière, des innovations dont la portée n'est pas bien certaine. Suivant l'opinion commune, cet empereur distingue entre le cas où il n'y a pas eu d'arrhes délivrées, et le cas où des arrhes ont été remises. Dans la première hypothèse, la vente demeure parfaite par le seul consentement, à moins que les contractants n'aient entendu qu'un écrit serait dressé (instruntentum), auquel cas la vente n'est réputée formée qu'à partir du moment où l'écrit est complètement dressé. Dans la seconde hypothèse, c'està-dire quand l'acheteur a livré des arrhes, chaque partie peut se dédire en les perdant, c'est-à-dire jusqu'à l'exécution, s'il ne devait pas y avoir d'écrit, ou sinon jusqu'à la perfection de cet acte'. D'autres interprètes EMT -611 EMT croient, au contraire, que la décision de Justinien sur l'influence des arrhes comme autorisant un dédit ne s'applique qu'aux ventes subordonnées à la rédaction d'un écrite. Quoi qu'il en soit, cet instrumentum était employé très fréquemment pour constater les ventes, et corroboré par la présence de témoin pararii [CAUTIO, CHIROGRAPHUM, TESTIS]. Il nous est parvenu des actes rapportant des contrats de vente du vie siècle, et même des fragments d'un siècle plus anciens. Suivant Rudorff, les actes antérieurs à la période chrétienne sont les uns douteux, comme la stipulation du temps d'Hadrien 1', les autres perdus comme le papyrus de Ferrare". Mais il reste des procèsverbaux sur papyrus d'enregistrement de ventes et de traditions devant la curie de la cité de Ravenne notamment, et remontant aux années 504, 539, 5710, 536, 5471, 551, etc. f2. Ces actes contiennent, en souvenir de l'ancienne mancipation, la subscription de cinq témoins; ils renferment une stipulation du double du prix, en cas d'éviction (stipulatio duplae), la réserve de la jouissance pour quelques jours43, la clause de dol, clausula doli, et un moyen de fortifier la vente, en revêtant les obligations de la forme de la stipulatio et de la sponsio 1i ; les témoins attestent constamment dans l'acte avoir assisté à la signature (subscriptio) et au payement du prix. La remise d'un objet [TRADITIO] est aussi fréquemment attestée dans un écrit (epistola traditionis, diploma vacuole id est possessionis vacuae traditae) par trois témoins qui l'affirment, devant le juge de la situation de la chose 15. Pour l'existence de la vente, il fallait un prix déterminé en argent; s'il avait été laissé à l'arbitrage d'un tiers, il y eut controverse entre les jurisconsultes18: elle fut tranchée par Justinien, en ce sens que la vente serait réputée conditionnelle jusqu'à la fixation du prix". L'opinion de la secte des Sabiniens, d'après lesquels le prix ne pouvait consister en autre chose que in numerata pecunîa n'avait pas prévalu sur celle des Proculiens, sauf 13 dans le cas où l'une des parties ayant mis sa chose en vente, onpouvait distinguer le vendeur de l'acheteur10. En effet, la vente différait de l'échange sous trois points de vue essentiels. D'abord elle se formait solo consensu, tandis que le contrat innommé d'échange ne produisait d'obligation civile que re, c'est-à-dire qu'à partir du moment où l'un des coéchangistes avait transféré à l'autre la propriété de l'objet dont il attendait l'équivalent" En second lieu, le vendeur qui, ayant accordé un terme pour le payement du prix, avait suivi la foi de l'acheteur, ne pouvait à défaut de payement qu'agir en dom mages intérêts, «liane venditi; il n'avait pas le droit de revendiquer l'objet dont il avait cessé d'être propriétaire 2i, ni même d'agir par la condictio sine causa pour obtenir la retranslation. Au contraire, l'échangiste qui n'avait pas reçu en contre-échange l'objet qu'il attendait pour celui qu'il avait aliéné, pouvait agir praescriptis venins ou demander la rétrocession de la propriété par l'action personnelle appelée condictio ob rem dati re non secuta22. Enfin, dans la vente, le vendeur ne s'obligeait pas directement et précisément à transférer la propriété de la chose vendue, comme l'acheteur devait transférer celle du prix au vendeur 23. Mais l'échange commençait par une aliénation et le cédant avait droit d'exiger que l'autre partie le rendit à son tour propriétaire'. Le vendeur contractait trois obligations principales". La première consistait à apporter une bonne foi entière dans l'exécution du contrat (purgari dolo male), la, vente étant depuis des temps très anciens essentiellement bonae fidei. Ainsi quoique le venditor ne s'obligeât pas précisément à dare, c'est-à-dire à transférer le dominium à l'acheteur, mais seulement à rem habere licere praestare, le vendeur qui aurait été de mauvaise foi, c'està-dire qui aurait su que la chose ne lui appartenait pas, devait une indemnité à l'acheteur de bonne foi". Celuici pouvait agir ex emto, avant toute éviction, in id quod interest. Par la même raison, lorsque le vendeur était réellement propriétaire d'une chose mancipi par lui vendue, il ne pouvait en général se refuser à opérer, au profit de l'acheteur, la cessio in jure ou la mancipatio requise pour transférer le domaine civil sur ce genre d'objets; autrement l'acheteur aurait pu le poursuivre également ex emto de fundo mancipando 27. C'est par ce motif' probablement que certains auteurs non juristes28 ont considéré la vente comme impliquant pour le vendeur une obligation d'aliéner, qui n'était pas de sa nature en droit romaines. Du reste, la vente de la chose d'autrui était permise30, non, comme on l'a dit trop souvent, parce que le vendeur ne s'engageait pas à dare, puisque la stipulation de la chose d'autrui était également valable31, mais parce que la vente, étant un simple contrat productif d'obligation, pouvait toujours, comme le legs per damnationem5s avoir pour objet une res aliena; en effet, en droit romain, vendue ne signifiait pas aliéner. Seulement le vendeur de la chose d'autrui qui était tenu de la bonne foi, devait prévenir l'acheteur, sous peine d'être poursuivi en indemnité par l'action enéti33. Mais quand le vendeur avait été bonae fidei., il ne pouvait être attaqué, avant toute éviction par cela seul que l'acheteur découvrait qu'il n'était pas devenu propriétaire ; en effet, il était dans l'origine assez difficile au vendeur lui-même de s'assurer qu'il était dominus, et l'acheteur se trouvait d'ailleurs protégé par le délai très court de l'usucapion3'' A raison de la bonne foi promise, le vendeur devait également garantie pour l'éviction [EVICTIO] et pour les En troisième lieu, le vendeur était tenu de procurer à l'acheteur la possession libre et paisible de la chose (vacua possessio 35, praestare rem, habere licere 36), ce qui impliquait d'abord la tradition, puis la garantie dont il a été parlé précédemment. La tradition a pour objet direct de procurer la possession d'une chose corporelle à l'acheteur37 [TRADITIO] ; elle rendait celui-ci propriétaire, si le vendeur l'était lui-même et que la chose fût nec mancipi; si elle était mancipi, ii l'avait seulement in bonis 36, sorte de propriété prétorienne "qui se transformait en propriété civile romaine (dominium ex jure Quiritium) par usucapion". Si le vendeur n'était pas dominus, l'acheteur de bonne foi, qui avait reçu la chose en vertu d'unjuste titre, obtenait seulement la possession bonae fidei, et même, en ce cas (publiciana actio)b1, l'action publicienne ; car il était aussi in causa usucapiendi et pouvait acquérir également la propriété par usucapion 42, sans préjudice de la praescriptio longi lemporis [PRAESCRIPTIO], qui avait ses avantages particuliers 43. Enfin l'acheteur de bonne foi faisait les fruits siens, dès qu'ils étaient séparés de la chose vendue, sauf, sous le bas-empire, l'obligation de restituer au propriétaire les fruits existant encore lors de la revendication". La tradition devait se faire au moment où le prix était payé k5, autrement le vendeur pouvait la suspendre; fûtelle opérée, elle ne transférait pas la propriété, tant que le payement n'avait pas eu lieu, parce que la translation était subordonnée à cette condition tacite, que le vendeur obtiendrait le prix ou se contenterait d'une satisfaction équivalente, â moins qu'il n'eût suivi la foi de l'acheteur, en lui accordant un termeb6. Le vendeur pouvait, même en ce dernier cas, recourir au pacte qu'on appelle pactum reservati dominiib7 pour se réserver le dominium. A l'obligation de livrer se rattachait la nécessité de procurer à l'acheteur (demonstrare fines) tous les moyens et documents ou titres qu'il avait à sa disposition, pour faciliter la possession de la chose 48, et de lui en remettre tous les accessoires, commoda rei, instrumenta emptionis, et notamment les fruits depuis laformation du contrat49. Enfin le vendeur devait garder l'objet avec soin (eustodia) jusqu'au moment fixé pour la livraison 5e et répondait du dommage ou de la perte arrivée par le défaut de soins d'un bon père de famille en général: il était donc tenu, à raison de la culpa levis, que les interprètes nomment in abstracto, mais il était libéré quand l'objet avait été détruit, endommagé ou volé sans sa faute, et par cas fortuit, sauf à céder à l'acheteur les actions que le vendeur pourrait avoir, quant à l'objet contre des tiers 51 De son côté, l'acheteur est obligé de transporter la propriété du prix au vendeur, lors de la tradition de la chose ou au terme fixe, et les intérêts à partir de la livraison52; mais le défaut d'exécution de cette obligation ne donnait lieu contre lui qu'à l'action venditi 53, et non à une demande en résolution de la vente, à moins d'une clause résolutoire expresse [coMMlssoiuA LEx] 54. L'acheteur demeurait tenu de payer le prix, encore bien que le corps, certain objet de la vente eût péri ou eût été endommagé par cas fortuit avant la tradition, lorsque le vendeur n'était pas en demeure (in mora) ; c'est en ce sens que dans le cas de vente pure et simple, les risques couraientpour l'acheteur dès le moment où la vente était parfaite et avant la tradition 55, malgré le prétendu adage res perit domini, qui n'était vrai que lorsque le propriétaire du corps certain était en même temps le créancier 56. En effet, le débiteur d'un corps certain est libéré rei interitu, quand l'objet a péri sans sa faute et sans sa demeure (mora) ; mais l'acheteur débiteur du prix, chose de genre, reste tenu ; car les obligations des parties, une fois nées, sont devenues indépendantes l'une de l'autre 57. Mais, dans le cas de vente conditionnelle, la perte totale de la chose reste à la charge du vendeur, à la différence de la perte partielle, parce que la vente ne peut se réaliser faute d'objet, malgré l'accomplissement de la condition 58. Les obligations nées de la vente ou de clauses accessoires se poursuivent par l'action venditi ou ex vendito au profit du vendeur, et par l'action emti ou ex emto au profit de l'acheteur 6n. Ces deux actions sont civiles, personnelles, in jus conceptae, bonae fidei 60 et directae. Quelquefois la vente avait lieu aux enchères publiques [AVCrlo] G1, sub hanta venditio 6x. Toute chose pouvait être vendue, pourvu qu'elle fût dans le commerce, ce qui excluait les choses du domaine public de l'État ou de la cité et les choses sacrées ou religieuses, loca publica ou retigiosa 63. Mais l'acheteur de bonne foi aurait eu l'action emti en dommages-intérêts, contre le vendeur coupable de vol ou seulement d'une faute 64 Il faut que l'objet vendu existe au moment du contrat, que ce soit un objet corporel ou un droit, et n'appartienne pas déjà àl'acheteur65, sauf les cas de vente d'une chose future 66 ou faite sous la' condition que l'objet cessera d'appartenir à l'acheteur67; cependant il est permis de vendre une simple chance, emtio spei, comme le résultat attendu d'un coup de filet 6e Le droit public romain avait d'ailleurs introduit de nombreuses restrictions à la liberté d'acheter ou de vendre. Ainsi plusieurs lois ou mandats impériaux [consTITUTIO] interdisaient aux magistrats et fonctionnaires de l'État et même aux militaires employés dans une province d'y acheter 69 autre chose que des immeubles de famille ou des objets de consommation ordinaire. En outre, les officiers publics ne pouvaient acheter les choses qu'ils avaient eux-mêmes mandat de vendre, afin qu'ils ne fussent pas placés entre leur intérêt et leur devoir". Un sénatus-consulte Hoscidianum, rendu sous l'empereur Claude en 801 de Rome (ou 48 de J.-C.), interdit de vendre des bâtiments pour les démolir 71, abus qui devint très fréquent sous le bas empire ; la vente des choses volées (res furtivae) fut déclarée nulle, lorsque les deux parties connaissaient cette circonstance ". On défendit de vendre des immeubles sine censu, c'està-dire avec la charge réservée au vendeur de payer les impôts à venir ", même sous la peine de confiscation introduite en cas par l'empereur Constantin 7s. Honorius interdit aux personnes d'un rang élevé de faire le commerce, sous prétexte de protéger les acheteurs et de faciliter les transactions entre les plébéiens et les marchands (negotiatores)'t. Le commerce de la pourpre et de la soie fut réservé par Gratien à l'État 76 [MONOPOLtuM]. Il paraît que déjà sous la république romaine, on avait défendu de vendre des chevaux aux barbares 77, car il fallut un sénatus-consulte en 581 de Rome (ou 171 av. J.-C.), pour autoriser les ambassadeurs du roi gaulois transalpin Cincibilus, à acheter chacun dix chevaux et à les emmener hors de l'Italie. Sous l'empire, des constitutions de Valentinien et de Marcien interdirent de céder aux barbares du vin, del'huile, desliqueurs précieuses et des armes 78. Sous Léon et Anthémius, on voit paraître une interdiction aux habitants de certains bourgs d'Égypte, formant une métrocomie (metrocomia), de vendre leurs immeubles à d'autres qu'aux habitants du même lieu ". On peut aussi considérer comme une restriction du contrat de vente le droit de préemption ( jus protimeseos), accordé dans certains cas à diverses personnes" c'est-à-dire le droit d'être préféré, pour l'achat au même prix, à un acheteur ordinaire. Les parents du vendeur obtinrent même, pendant quelque temps, au moins depuis Constantin, cette faculté exorbitante, supprimée ensuite par Valentinien II et Théodose Ie° 81 Constantin paraît avoir assujetti toute vente 82 à la nécessité de montrer publiquement, en présence de témoins, l'objet vendu afin de lever les doutes, notamment sur la propriété de l'étendue des immeubles achetés 83. Cette espèce de tentative pour remplacer la mancipation ne paraît pas avoir réussi dans la pratique, et elle tomba bientôt en désuétude ; car on n'inséra qu'une faible partie de cette constitution au code théodosien. La vente pouvait être pure et simple ou subordonnée à une condition : il y avait en ce genre des clauses assez fréquentes 86 [COMMISSORIA LEX], le pactum reservati dominii mentionné plus haut, enfin le pacte de remère (pactum de retro vendendo), par lequel le vendeur se réservait de reprendre la chose dans un certain délai, moyennant le même prix ou un prix supérieur 85. Le contrat de vente pouvait être résolu, les choses étant encore entières, par le mutuel dissentiment des parties 86 ; mais si la chose avait été livrée, l'acheteur était le maître de la revendre au vendeur pour le même prix et de se libérer ainsi de son obligation par compensation 81. En outre, Dioclétien permit à tout vendeur d'immeuble qui n'avait pas obtenu la moitié du prix réel de la chose de demander la rescision de la vente pour lésion (laesio ultra dimidium), sauf à l'acheteur à l'éviter en payant le supplément du juste prix88. La vente d'une hérédité était soumise à des règles particulières, comme celle d'une action 88 G. HuMDEnT.